28 avril : journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail

Le 28 avril, c'est la journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail. Vous trouverez un historique de cette journée, qui est une création récente, sur le site de l'ONU : un environnement de travail sûr et salubre, principe et droit fondamental au travail.

Bien-être et liberté

Logo CGT avec la devise “bien-être et liberté”La sécurité et la santé au travail sont des sujets importants, en particulier pour les militant·es syndicalistes, mais dont je trouve qu'on ne parle malheureusement pas assez. Ce sont des outils puissants de protection des travailleur·es et de lutte collective, dont la mise en œuvre permet la construction de rapport de force concret face aux patrons. C'est vrai dans tous les secteurs, mais c'est d'autant plus pertinent dans le public, où les directions des administrations ne sont que peu voire pas du tout sensibles au rapport de force économique instaurable par une grève. Attention, il ne s'agit pas de dénigrer l'importance du moyen d'action qu'est la grève y compris dans les secteurs publics : il est ici question de la besogne quotidienne du syndicalisme, et non de sa besogne d'avenir, qui, bien que nourrit par la première, ne pourra faire l'économie de la construction d'une véritable grève générale[1]. Si un syndicalisme dénué de son objectif d'expropriation des capitalistes et d'émancipation des travailleur·es n'aurait que peu de sens politique, il serait tout aussi insensé d'imaginer une organisation syndicale capable de faire la révolution puis de servir de base de réorganisation sociale de la société et de la production qui ne se soit construite par la base, dans des luttes quotidiennes et fédératrices autour de revendications immédiates. Bien-être et liberté[2]. Ce possible malentendu écarté, revenons à nos moutons.

Sécurité et santé au travail : les sources du droit

La santé est un droit humain fondamental, reconnu de diverses façons par le droit international. En France, elle fait parti du bloc de constitutionnalité via l'article 11 du préambule de la constitution du 27 octobre 1946, c'est donc un droit qui se hisse tout en haut de la hiérarchie des normes.

Au travail, le droit à la santé à la sécurité fait l'objet d'une convention de l'Organisation internationale du Travail (OIT) depuis 1981 : la Convention n°155 portant sur la sécurité et la santé des travailleurs. Cette convention n'a pas été ratifiée par la France. C'est d'ailleurs la seule des onze conventions fondamentales de l'OIT qui ne l'est pas[3]

Heureusement, cette convention est traduite en droit européen par la Directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. Une directive européenne étant directement applicable dans les pays membres puisque, faisant parti du bloc de conventionnalité, elle se situe au dessus de la législation nationale dans la hiérarchie des normes, on a pas vraiment besoin de descendre plus bas, mais en pratique cette directive a bien été retranscrite en droit français (même si nos institutions ne sont vraiment pas pressées concernant les directives relatives à la protection des travailleur·es…).

Si j'ai pris le temps de faire ce détour législatif quelque peu rébarbatif, c'est pour asseoir clairement la puissance de l'outil juridique dont il est question : même à coup de 49-3, le gouvernement tout macroniste qu'il soit n'a pas la possibilité de revenir sur notre droit à la santé et à la sécurité au travail, et aucun patron ne pourra jamais se défaire de cette responsabilité. C'est une information importante à avoir en tête : à la fin, c'est grâce à ça qu'on gagne. On ne négocie pas un droit humain fondamental établi par des traités internationaux. Ce n'est pas pour rien que le patronat et les gouvernements à son service s'acharnent à vouloir inverser la hiérarchie des normes : plus les règles sont établies à petite échelle (à l'extrême limite, l'échelle individuelle, s'il n'y avait même plus de Code du travail), plus le rapport de force est favorable aux dominants[4].

Sécurité et santé au travail : des outils de lutte

La philosophie de la directive européenne de 89 est d'affirmer que c'est au travail de s'adapter à l'humain et non l'inverse, et donc que doivent être éliminés tous les risques du lieu de travail. Plutôt que d'en faire un vœux pieux, des outils sont donnés aux seul·es véritables spécialistes du travail, les travailleur·es elleux-mêmes, pour forcer les patrons à mettre en œuvre cette politique.

La meilleure défense, c'est l'attaque

Avec la directive de 89, on est plus dans la défense, on attaque le patron ! La directive lui donne plusieurs obligations :

  • l'obligation de recenser et d'éliminer tous les risques professionnels ;
  • l'obligation de moyens et de résultats sur la santé ;
  • l'obligation de former ses employé·es à leur poste et à ses risques professionnels (et de nouveau en cas de changement de poste).

En cas de non respect de cette directive, c'est la responsabilité civile et pénale du patron qui est engagée[5].

En pratique ces obligations correspondent à des choses concrètes. Pour l'élimination des risques par exemple, il y a l'obligation de maintenir le DUERP (document unique d'évaluation des risques professionnels) et les plans de préventions des risques (nécessairement associés à un budget) devant mener à l'amélioration des conditions de travail.

La stratégie des patrons va consister à tout déconnecter, individualiser, psychologiser (le vocabulaire patronal préférera le terme de “risques psycho-sociaux” à celui, plus syndical, de “risques socio-organisationnels” mettant l'accent sur l'organisation du travail). Notre travail de syndicaliste consiste à démontrer les connexions objectives, notamment au moyens des outils à notre disposition qu'on va voir juste après.

Et c'est là qu'un rapport de force tout à fait concret peut se construire, parce que c'est pas l'entreprise qui sera responsable in fine, c'est le patron lui-même. Il fera donc tout pour éviter que ça n'aille trop loin, parce que si ça doit finir au pénal, où je rappelle que sa responsabilité personnelle est engagée, pour les raisons citées dans la section précédente, on gagne. À condition bien sûr d'avoir correctement établi la preuve du lien entre l'organisation du travail et l'impact sur la santé physique ou mentale. C'est notamment ça qu'on apprend à faire dans les formations syndicales à la démarche Travail-Santé (du moins dans celles que j'ai pu suivre auprès de la FERC). Une preuve supplémentaire s'il en est besoin de l'importance des formations syndicales (et donc, de se syndiquer !).

Des droits individuels

Ces droits s'appliquent à tou·tes travailleur·es présent·es sur le site d'une entreprise, pas seulement à ses employé·es. La directive de 89 parle bien de travailleur·es et non de salarié·es, et concerne donc même celleux qui n'interviendraient sur le site d'une entreprise que de manière ponctuelle (intérim, ESN, etc.). Ces droits sont :

  • le droit de signalement dans le registre SST (sécurité et santé au travail) ;
  • le droit de retrait d'une situation qu'on estime dangereuse (on retrouve ici l'idée que les travailleur·es sont les meilleur·es expert·es de leur propre travail).

Utiliser correctement ces outils s'apprend, et je vous renvoie de nouveau aux formations syndicales pour plus de détails et l'ensemble des possibilités. Je me contente ici de noter que le registre SST peut servir à laisser des traces objectives de ce qui ne va pas dans l'organisation du travail, des traces qui compteront si les démarchent doivent aller plus loin. Les signalements s'y font de manière individuelle, mais la démarche peut tout à fait être construite collectivement quand c'est nécessaire (et dans ce cas les signalements se multiplient, c'est pas un soucis). Le droit de retrait est lui aussi strictement individuel (si c'est collectif, ça devient du droit de grève, et ça ne fonctionne plus du tout pareil), mais peut également se préparer collectivement. Dans certaines situations un droit de retrait peut être transformé en droit d'alerte (voir ci-dessous).

Des droits collectifs

Quand le recours aux droits individuels n'est pas suffisant pour régler une situation, on passe à l'étape suivante : le recours au droit syndical des élu·es et mandaté·es dans les IRP (instances représentatives du personnel). Ces droits sont :

  • le droit d'alerte dans le registre DGI (danger grave et imminent) ;
  • les droits de visite, d'enquête, de diagnostic, et d'expertise des CSE/CSA (ex-CHSCT).

À nouveau, l'utilisation correctes de ces outils s'apprend. Les élu·es et mandaté·es dans les IRP ont d'ailleurs tou·tes droit à 5 jours de formations dont 3 par l'employeur, les 2 autres pouvant l'être par le syndicat (ce que je recommande). Déposer une alerte dans le registre DGI peut notamment se faire en cas de désaccord répété et persistent entre les travailleur·es et le patron, typiquement suite à une série de signalements SST non suivis d'effet. Quand on en arrive à l'alerte DGI, les démarches sont très cadrées, avec une obligation, conséquente pour le patron, en terme de résultats. Une enquête doit être menée par une commission paritaire, dont doit nécessairement faire partie le ou la syndicaliste qui a déposer l'alerte. Cette enquête doit aboutir à des préconisations à mettre en œuvre immédiatement pour lever le danger, et si les conclusions de l'enquête ne sont pas acceptées par les élu·es et mandaté·es du CSE/CSA, c'est au tour de l'inspection du travail de s'en mêler (et a priori, aucun patron n'a intérêt à en arriver là). L'enquête du CSE/CSA comme celle éventuelle de l'inspection du travail commencera toujours par la consultation du registre SST, d'où l'importance d'y laisser des traces des dysfonctionnements dans l'organisation du travail.

La démarche Travail-Santé

La démarche Travail-Santé de la CGT consiste, comme sa démarche travail, à partir du travail concret pour construire des revendications. Partir du travail concret signifie partir de la question de comment on travaille, et comment on pourrait travailler mieux[6]. Dans le cas de la démarche Travail-Santé, il s'agit d'utiliser les outils fournis par le cadre de la sécurité et de la santé au travail pour construire une traçabilité des effets de l'organisation du travail, qui est de la responsabilité du patron, sur la santé des travailleur·es. Cela se fait notamment en utilisant les registres cités ci-dessus, tout en ayant recours à la médecine du travail pour faire attester de certaines situations ou se protéger quand c'est nécessaire (typiquement en prenant un arrêt de travail avant qu'une situation ne dégénère[7]).

Ce serait une erreur de cantonner ces outils aux simples “carreaux cassés”, ou même aux risques d'atteintes purement physiques à la santé (situations périlleuses, manipulation de produits toxiques, etc.). La santé mentale est tout aussi concernée. Les situations de surcharge de travail, de burn-out, de perte de sens du travail, de harcèlement, etc. sont tout aussi concernées par le recours à ces méthodes.

Au département PIF de Paris 8 où je travaille, c'est cette démarche syndicale collective qui nous a, littéralement, sauvé·es. Au terme de plus d'un an de lutte, en plus de la réorganisation de nos structures collectives de travail (laboratoire et département) pour nous protéger de harceleurs, de la reprise en main du travail qui nous avait été volé (responsabilité de formation que nous avions montée de toutes pièces), de l'adaptation à nos moyens du travail attendu (réduction de l'effectif étudiant pour mieux correspondre à nos capacités réelles), nous avons également obtenus des ouvertures[8] de postes de titulaires : 3 en 2021, 2 en 2022, et encore 2 en 2023. Ces recrutements nous permettront de passer de 9 à 14 titulaires (il y a aussi eu deux départs pendant la période) dans l'équipe. En terme de victoire syndicale, ce n'est pas rien ! C'est donc en tant qu'acteur ayant expérimenté cette démarche de lutte collective aussi bien qu'en tant que témoins de son efficacité quand elle est menée à son terme que j'ai rédigé ce billet pour célébrer cette journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail.

Syndiquez-vous ! Formez-vous !
Vive la lutte ! Vive la syndicale !

Post-scriptum : Concernant le harcèlement et les violences au travail, la Convention 190 de l'OIT sur la violence et le harcèlement, datant de 2019, est un formidable outil fonctionnant de façon similaire à la Convention 155, et dont il va très bientôt falloir se saisir pleinement[9], notamment concernant les luttes contre le sexisme et le patriarcat. J'en parlais déjà sur Twitter en 2020, en préparation du 25 novembre, journée mondiale contre les violences faites aux femmes, et j'espère réussir à en faire un article sur ce blog, un jour…

Notes

  1. ^ Si les termes de besogne quotidienne et d'avenir ne vous parle pas, c'est probablement que vous n'avez pas encore connaissance de la Chartes d'Amiens, que je vous engage alors à aller lire de ce pas (c'est très court !).
  2. ^ « Bien-être et liberté » était la devise présente sur un des plus vieux logo de la CGT.
  3. ^ Les conventions fondamentales de l'OIT sont toutes importantes, elles portent sur la liberté syndicale, le travail forcé, la discrimination, le travail des enfants, et la sécurité et la santé au travail.
  4. ^ D'où l'importance de se syndiquer, d'être dans un syndicat fédéré dans une structure défendant l'ensemble d'un secteur d'activité (conventions collectives, etc.), et que cette fédération soit elle-même confédérée dans une organisation capable de représenter et défendre l'ensemble des travailleur·es, la confédération, elle-même membre d'organisation internationale (comme la CES au niveau européen, et la CSI au niveau mondial).
  5. ^ « Cher M. Patron, voici comment notre syndicat va vous éviter d'aller en prison : en répondant favorablement à nos revendications concernant la sécurité et la santé au travail… », ça peut faire son effet.
  6. ^ Notez ici qu'il est question du travail et non de l'emploi, on parle donc du travail concret et non du travail prescrit, du vécu quotidien et de l'envie de chacun·e de bien faire son travail. Qu'est-ce qui vous manque pour bien travailler ?
  7. ^ En tant que syndicaliste, quand on accompagne des travailleur·es venu·es nous demander de les défendre, on se heurte bien souvent à un refus de prendre un arrêt de travail, qui serait vécu comme un échec personnel ou un aveu de faiblesse… Il est alors de notre devoir de convaincre, quand c'est le cas bien sûr, qu'un arrêt de travail est non seulement une nécessité pour se protéger mais n'est en rien un échec : il s'agit d'un jalon de plus pour tracer et prouver les dysfonctionnements de l'organisation du travail, à travers un effet concret sur la santé d'un·e travailleur·e.
  8. ^ Ouvertures par dégels et par transformations, sans créations, mais c'est déjà une victoire énorme dans l'ESR dans l'état dans lequel il est…
  9. ^ La France vient tout juste de ratifier cette convention il y a quelques jours, le 12 avril. Réaction de la CGT à cette victoire en demi-teinte : Convention 190 de l’OIT : Après la ratification, restons mobilisé·es pour combattre réellement les violences et le harcèlement dans le monde du travail !